La question n’est même plus de savoir s’il y a des journalistes et en quantité suffisante dans ces grandes agences comme au sein des rédactions des grands médias, des critères, plus « occultes », entrent en ligne de compte. Et du coup des sujets bénéficient de priorités ou passe-droit contre lesquels on ne semble plus rien pouvoir faire.
L’information, brute comme traitée, que l’on nous donne à digérer, n’est rien d’autre qu’un plat froid qui aura été, à la hâte, réchauffé pour atteindre un but précis. Les nouvelles technologies de l’information et de la communication ne sont pas étrangères, évidemment, à cette évolution. Tout va très (trop ?) vite. L’abondance, en outre, relègue la qualité et la fiabilité à d’autres temps et à d’autres mœurs.
Pour très peu d’argent, n’importe qui peut acheter ces petits compacts qui font de la photo et de la vidéo et poster immédiatement sur YouTube ou Dailymotion les scènes volées ici ou là d’un « scoop » qui fera le tour de la planète plus vite encore que ne peuvent le traiter et les radios et les chaînes de TV. Bien évidemment, avec force portails d’information et blogs, le texte lui aussi circule à la vitesse de la lumière sans qu’aucune vérification ne soit faite, sans que la source soit connue, par le simple fait d’un sujet de plus dans un flux RSS qui, bien référencé, va lui aussi générer dans la langue de Molière jusqu’à 1.000 articles plus ou moins semblable et qui ne sont que le reflet d’un communiqué, un seul, ayant atteint son but.
Pour la presse quotidienne, courir après la radio, la télévision et a fortiori l’Internet, le pari est perdu d’avance et son modèle en termes de contenu ainsi que son modèle économique restent à réinventer. Les chaînes de radio et de TV doivent, elles aussi, revoir en profondeur leurs grilles tant il est devenu simple et accessible techniquement comme économiquement de créer sa propre Web radio.
Pour achever de se convaincre de cette pensée unique qui nous est imposée, une rapide visite sur les sites de Google Actualités ou de Newstin.fr vous révèleront pour un fait donné le nombre (non exhaustif mais uniquement recensé à l’instant T) d’articles traitant du même sujet, portant le même titre et, si l’on remonte patiemment la filière, tous étant eux-mêmes de pâles copies des travaux bien accomplis des services communication, des porte-parole et autres communicants.
Ce qui, en outre, est désolant, avilissant, c’est de voir, hiérarchiquement, quels articles et donc quelles actualités ont été les plus vues et lues. Cela vous donne l’envie de relire, à tête reposée, « La Condition Humaine » …
Au début du mois, Bernard-Henri Lévy a par exemple avoué s'être laissé piéger par l'œuvre d'un dénommé Jean-Baptiste Botul, un écrivain fictif qui n’a jamais existé et qui, pour sans doute aussi dénoncer les limites du système, avait été inventé de toutes pièces par le journaliste Frédéric Pagès. Mais ledit Botul peut réclamer des droits car il a été cité par BHL. Tant de fois !
Les médias, tels qu’ils existent aujourd’hui, hors magazines people et encore, ne survivront pas à cette accélération que leur impose ce droit pour quiconque, un droit qui doit rester inaliénable pour autant que lois et règlements soient respectés, de publier.
En presse professionnelle et spécialisée, depuis déjà des années, l’information part de l’entreprise pour y revenir, les nouveautés sur les marchés et les produits ne subissent qu’à peine le « rabotage » des rédactions et le simple communiqué annonçant un nouveau produit devient un vrai-faux banc d’essai dans les titres en mal de ressources publicitaires puisque leurs lecteurs sont déjà partis.
La Toile peut être dangereuse. Car elle permet de faire circuler tout et n’importe quoi. Sans aucun délai, sans temps de latence. Et son modèle économique est simple pour ne serait-ce que survivre : ce sont les internautes eux-mêmes qui produiront l’information, sur tous supports et ce sont les mêmes internautes qui consommeront de l’information, gratuitement, sous quelque forme que ce soit. En bref, la valeur ajoutée que naguère les grands reporters apportaient à une Société qui était aussi moins « speed » n’a plus les faveurs des lecteurs, auditeurs, téléspectateurs et internautes, le « zapping » ayant tout remplacé et les études le prouvent : dans une majorité des cas, seul le titre est lu, vu ou entendu.
Alors oui, « nous ne vivons que des moments préfabriqués » affirmé-je sans complexe en formant simplement le vœu que ces excès conduisent, par les dégâts qu’ils auront causé, à une autodiscipline des uns et, si cela devait s’avérer nécessaire, à la mise en place d’une « Charte » dont l’essence serait disciplinaire c'est-à-dire morale et éthique. Il n’est pas interdit de rêver …